Lorsqu’un projet affecte des spécimens d’espèces protégées ou les habitats de ces derniers, il est obligatoire d’obtenir une dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées.
En droit français, les espèces protégées sont des espèces animales et végétales mentionnées sur des listes fixées par arrêtés ministériels (en application des articles L411-1 et 2 et R411-1 à 5 du code de l’environnement).
Ces interdictions de porter atteinte aux espèces protégées sont listées à l’article L411-1 du code de l’environnement :
- La destruction ou l’enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ;
- La destruction, la coupe, la mutilation, l’arrachage, la cueillette ou l’enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ;
- La destruction, l’altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d’espèces ;
- La destruction, l’altération ou la dégradation des sites d’intérêt géologique, notamment les cavités souterraines naturelles ou artificielles, ainsi que le prélèvement, la destruction ou la dégradation de fossiles, minéraux et concrétions présents sur ces sites ;
- La pose de poteaux téléphoniques et de poteaux de filets paravalanches et anti-éboulement creux et non bouchés.
Concernant la dérogation à ces interdictions, en pratique il y a essentiellement deux situations : il peut s’agir soit d’une demande de dérogation pour un projet d’aménagement ou d’activité, soit d’une demande de dérogation à des fins scientifiques.
La dérogation est généralement accordée par les préfets de département, après avis du Conseil National de Protection de la Nature (CNPN) ou du Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel (CSRPN). Le ministre chargé de l’Ecologie et/ou le ministre chargé des Pêches maritimes peuvent également accorder cette dérogation.
La dérogation doit respecter des conditions de fond prévues à l’article L411-2 du code de l’environnement. En effet, sa légalité suppose la réunion de trois conditions distinctes et cumulatives (1) :
1/ L’absence de solution alternative satisfaisante ;
2/ Le maintien dans un état de conservation favorable des populations de l’espèce dans son aire de répartition naturelle ;
3/ Répondre à l’un des 5 cas de dérogation exhaustivement prévus par le texte.
Le défaut d’une seule de ces conditions entache d’illégalité la dérogation.
Il sera ici question de revenir successivement sur ces trois conditions cumulatives.
1/ L’absence de solution alternative satisfaisante
Afin que la dérogation d’atteinte aux espèces protégées soit accordée, il ne doit pas exister d’autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire.
Cette condition n’est remplie que lorsqu’il est établi que l’objectif poursuivi par le projet ne peut pas être satisfait par des solutions alternatives permettant de limiter l’atteinte en cause2.
Par ailleurs, il a été jugé qu’un dossier de demande, dont les hypothèses alternatives se fondent sur d’anciennes études d’impacts et dont aucune variante d’implantation du projet n’a été réellement envisagée, ne permettait pas de considérer qu’il n’existait pas de solution alternative satisfaisante3.
De même, les éléments d’opportunité ayant conduit à écarter des hypothèses doivent établir avec suffisance l’absence de toute solution alternative satisfaisante4.
Enfin, il a été jugé que l’examen des solutions alternatives au sens de l’article L411-2 du code de l’environnement ne saurait se limiter à la présentation des principales solutions de substitution qui ont été envisagées par le maître d’ouvrage. Cet examen « nécessite que les différentes alternatives soient examinées sur la base de critères scientifiques et économiques comparables en ce qui concerne l’impact des différentes solutions sur les espèces végétales et animales concernées et les raisons d’intérêt public pertinentes respectives »5
A titre d’exemple, le Tribunal administratif de la Guyane a annulé l’autorisation environnementale délivrée par l’Etat pour la construction de la Centrale thermique du Larivot.
En l’espèce, le tribunal a jugé que la dérogation était illégale faute pour les services de l’Etat de démontrer l’absence de solution alternative satisfaisante permettant de réduire les atteintes portées aux espèces protégées6.
2/ Le maintien dans un état de conservation favorable des populations de l’espèce dans son aire de répartition naturelle
Cette condition doit être interprétée comme faisant obstacle à un prélèvement d’espèces dont l’importance serait susceptible de menacer le maintien des effectifs de la population concernée7.
De plus, il appartient au porteur de projet de démontrer que les habitats des espèces au sein de leurs aires de répartition demeureront stables ou en extension ou que l’aire de répartition naturelle de chaque espèce ne diminuerait pas8.
A titre d’exemple, il a été jugé récemment que la condition tenant au maintien dans un état de conservation favorable des populations de l’espèce dans son aire de répartition naturelle n’a pas été respectée concernant un arrêté qui prévoyait à titre expérimental des mesures d’effarouchement renforcé de l’ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux.
En ce sens : « Les dispositions attaquées relatives à la mise en œuvre de l’effarouchement renforcé ne permettent toujours pas de s’assurer, eu égard aux effets d’un tel effarouchement sur l’espèce, et en l’absence de données scientifiques nouvelles témoignant d’une amélioration de son état de conservation, que les dérogations susceptibles d’être accordées sur ce fondement par le préfet ne portent pas atteinte au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas l’amélioration de l’état de l’espèce. »9
3/ La demande doit répondre à l’un des 5 cas de dérogation prévus par le texte
Les 5 cas de dérogation prévus au 4° de L411-2 du code de l’environnement sont :
- L’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages, et de la conservation des habitats naturels ;
- La prévention des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ;
- L’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ;
- Des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement et de réintroduction des espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ;
- Permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d’une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d’un nombre limité et spécifié de certains spécimens.
Ces 5 cas de dérogation ne sont pas cumulatifs. Ainsi, il suffit que la demande de dérogation réponde à un seul cas pour que cette troisième condition soit remplie.
Par ailleurs, s’agissant de la légalité de la dérogation fondée sur une raison impérative d’intérêt public majeur, le Conseil d’Etat opère une balance entre la raison présidant au projet et l’objectif de conservation des espèces.
En ce sens « (…) l’intérêt de nature à justifier (…) la réalisation d’un projet doit être d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage poursuivi par la législation (…) »10
A titre d’exemple, il a récemment été jugé qu’une autorisation de dérogation d’atteinte aux espèces protégées qui n’était justifiée par aucune raison impérative d’intérêt public majeur et portant atteinte à 39 espèces protégées, était illégale11.
En définitive, la jurisprudence administrative se montre particulièrement stricte sur le sujet. Le juge est régulièrement amené à annuler des arrêtés portant dérogation à l’interdiction d’atteinte aux espèces protégées.
- CE, 9 octobre 2013, SEM Nièvre Aménagement, n°366803 ; CAA Lyon, 21 mars 2017, SARL Carrière de Cusy-Mathieu et fils, n°14LY03096
- CE, 15 avril 2021, n°430500 ; CE, ord., 3 juillet 2020, SPL 25, n°430585
- CAA Bordeaux, 13 juillet 2017, n°16BX01365
- TA Lyon, 15 novembre 2018, n°1707908
- TA Marseille, 8 août 2018, n°1602355
- TA de la Guyane, 28 avril 2022, n°2100237
- CE, 20 avril 2005, ASPAS, n°271216
- CAA Marseille, 17 décembre 2020, n°20MA01978
- CE, 25 avril 2022, n°442676, 442769
- CE, 3 juin 2020, Ministre de la Transition écologique et solidaire, n°425395
- CE, 30 décembre 2021, Société Sablière de Millières, n°439766