Le juge de l’expropriation prend en compte l’état de pollution d’une parcelle pour fixer le montant de l’indemnisation à l’exproprié.
Comment le montant de l’indemnité de dépossession est-il déterminé ?
En application de l’article L322-1 du code de l’expropriation :
« Le juge fixe le montant des indemnités d’après la consistance des biens à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété. »
C’est donc la consistance du bien, sa valeur intrinsèque, qui détermine le montant de l’indemnité. Dans ces conditions, tous les paramètres favorables du bien sont pris en considération (par exemple, sa surface, sa configuration, sa localisation, son caractère constructible…).
Mais cela implique, a contrario, que tous les paramètres défavorables le soient aussi : c’est le cas lorsque terrain est pollué.
Quelle est l’incidence de la pollution des sols sur le montant de l’indemnité de dépossession ?
Dès lors que le montant de l’indemnité est fonction de la consistance du bien exproprié, la pollution des sols doit être prise en compte.
Ainsi, par exemple, le juge applique un abattement qui peut être plus ou moins important en fonction de l’état de pollution des sols :
- De l’ordre de 40 % : « (…) la pollution des sols constitue un des aspects de la consistance matérielle des biens expropriés susceptible d’affecter leur valeur et devant être pris nécessairement en compte par le juge de l’expropriation, la cour d’appel a fait application d’un abattement de 40% pour tenir compte d’une pollution qu’elle considérait établie par les différents pièces produites au débat. »[1]
- De l’ordre de 30 % :« Toutefois, les parcelles étant polluées, ainsi que cela résulte du diagnostic de dépollution des sols, produit par l’expropriant, un abattement de 30% sera pratiqué sur ce montant, un sol pollué ayant une valeur inférieure à un site non pollué, soit une valeur au m² arrondie à 9 euros. »[2]
- De l’ordre de 20 % : « Or, même s’il existe des discussions sur l’importance et les conséquences de la pollution des terrains expropriés, la réalité de ladite pollution n’est pas contestée à la suite des expertises non contradictoires versées aux débats et le tribunal, a fait une exacte appréciation de l’abattement à appliquer en cas d’expropriation et ce, en précisant que les anomalies du site devaient être appréciées, indépendamment du projet spécifique poursuivi par le Département. En conséquence, l’abattement restera limité à 20%. »[3]
Les autorités expropriantes peuvent donc demander la prise en compte de la pollution des sols expropriés afin de limiter le montant de l’indemnité à verser au propriétaire exproprié.
En principe, l’expropriant ne peut pas se prévaloir du surcoût qu’entraînera la dépollution des sols pour diminuer le montant de l’indemnité de dépossession[4] (versée au propriétaire).
En effet, il est de jurisprudence constante que l’évaluation de l’indemnité de dépossession ne peut prendre en compte la vocation future de la parcelle[5].
Cependant, le juge de l’expropriation peut désigner un expert pour chiffrer les coûts de dépollution. L’expert examinera idéalement plusieurs scénarios, plusieurs usages projetés, sans théoriquement se focaliser sur l’usage effectivement projeté. Cette évaluation des coûts de dépollution permettra au juge de fixer souverainement l’indemnité.
En cas d’indemnité trop faible, le propriétaire pourra rechercher d’éventuelles responsabilités du côté du pollueur, mais devant d’autres tribunaux.
Et en cas d’expropriation d’un bien sur lequel est exploitée une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) ?
Comme il a été dit ci-dessus, la pollution des sols sera prise en compte dans la détermination du montant de l’indemnité si elle est établie[6].
En application de l’article L321-1 du code de l’expropriation, l’exproprié a le droit d’obtenir réparation des préjudices directs, matériels et certains causés par la mesure de dépossession forcée.
Cependant, il n’a pas le droit de demander à ce que l’expropriant l’indemnise des coûts de dépollution du site lorsqu’y est exploitée une ICPE.
Le juge a eu l’occasion de se prononcer dans un litige opposant l’exploitant d’une ICPE à Voies navigables de France (VNF), expropriante. L’entreprise expropriée, contrainte de poursuivre son activité sur un autre site, demandait à être indemnisée car elle devait dépolluer le site en le quittant. Le juge a estimé que l’obligation légale de remise en état pesant sur l’exploitant d’une ICPE à la cessation de son activité sur un site est liée aux conditions d’exercice de son activité et ne constitue pas un préjudice « direct », trouvant son origine dans la mesure de dépossession forcée[7].
[1] CA Nîmes, 21 novembre 2022, n° 22/00002
[2] CA Rennes, 20 mai 2011, n° 10/04490
[3] CA Paris, 4 mai 2006, n° 05/00014
[4] l’état de pollution n’a en revanche pas d’influence sur le montant de l’indemnité d’éviction car cette indemnité n’est qu’à l’occupant (locataire…), pas au propriétaire.
[5] CA Versailles, 19 décembre 2017, n° 15/07139
[6] Op., cit.,
[7] Cass., 3ème civ., 22 septembre 2010, n° 09-69.050