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Bail rural et démembrement de propriété : risque important pour le locataire

Il arrive que des terres fassent l’objet d’un démembrement de propriété, c’est-à-dire qu’elles appartiennent en usufruit à une personne, et en nu-propriété à une autre.  

Le nu-propriétaire est celui qui a le droit de disposer des parcelles : les vendre, les louer, tandis que l’usufruitier n’a le droit que de jouir, d’utiliser, les parcelles et ce n’est que dans certaines conditions qu’il peut les louer.

Que se passe-t-il si l’un des propriétaires souhaite conclure un bail rural sans l’accord de l’autre ?

Dans cette hypothèse, les conséquences pour le preneur du bail rural peuvent être graves.

I / L’usufruitier peut-il, seul, conclure un bail rural sans le nu-propriétaire ?

En application de l’article 595 du code civil, lorsque les parcelles relèvent à la fois d’un nu-propriétaire et d’un usufruitier, le principe est clair :

« L’usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural (…) »

Ainsi, si le nu-propriétaire ne donne pas son accord, l’usufruitier ne peut pas, seul, conclure un bail rural.

Quelle est la sanction si l’usufruitier conclut un bail rural sans l’accord du nu-propriétaire ?

Les conséquences sont lourdes : le bail est frappé de nullité[1].

Le nu-propriétaire dispose d’un délai de 5 ans pour agir en nullité[2].

En pratique, si le bail est frappé de nullité, cela veut dire que le bail n’existe plus et que le preneur en place n’a pas le droit de continuer à exploiter les parcelles.

En conséquence, le nu-propriétaire pourra agir en expulsion à l’encontre du preneur en place qui devient un occupant sans droits ni titres.

L’usufruitier peut-il passer outre le désaccord du nu-propriétaire et conclure seul un bail rural ?

En application de l’article 595 du code civil, le bail rural conclut par l’usufruitier seul, sans l’accord du nu-propriétaire peut être validé par le juge :

« A défaut d’accord du nu-propriétaire, l’usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte. »

Le cas échéant, le juge appréciera les raisons objectives qui justifient le refus du nu-propriétaire.

Par exemple, si le nu-propriétaire établit qu’il subirait un préjudice à cause de la conclusion du bail rural pour lequel il n’a pas donné son accord, le juge ne donnera pas l’autorisation à l’usufruitier de conclure le bail seul[3].

En pratique, si le bail est validé par le juge, cela veut dire qu’il continue à exister et que le preneur en place a le droit de continuer à exploiter les parcelles.

Cette autorisation, obtenue en justice, permet donc de passer outre le désaccord du nu-propriétaire.

II / Le nu-propriétaire peut-il conclure un bail rural sans l’accord de l’usufruitier ?

Si l’article 595 du code civil nous apporte la réponse lorsqu’il s’agit de la conclusion du bail par l’usufruitier seul, il reste silencieux dans le cas inverse, celui du bail conclu par le seul nu-propriétaire.

Cependant, la doctrine juridique[4] et la jurisprudence[5] ont récemment apporté une réponse : le nu-propriétaire ne peut valablement pas conclure seul un bail rural sans l’accord de l’usufruitier.

Quelle est la sanction si le nu-propriétaire conclut, seul, un bail rural ?

Contrairement à la sanction encourue lorsque l’usufruitier conclut seul un bail rural, sans l’accord du nu-propriétaire, le bail n’est pas frappé de nullité mais est seulement inopposable à l’usufruitier.

En pratique, si le bail est inopposable à l’usufruitier, cela veut dire qu’il ne produit pas d’effet à son égard.

En conséquence, l’usufruitier pourra agir en expulsion du preneur en place, qui devient, uniquement à son égard, occupant sans droits ni titres. 


[1] Cass., 3ème civ., 16 décembre 1987, n° 86-15.324

[2] Art. 2224 du code civil

[3] Cass., 3ème civ., 4 mars 1987

[4] DROSS (W.), Le bail rural consenti par le nu-propriétaire : l’article 595 en miroir ?, sous Cass., 3ème civ., 6 juillet 2017, n° 15-22.482 

[5] Cass., 3ème civ., 18 février 2021, n° 20-11.107

Article écrit par Me Chloé Schmidt-Sarels

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