L’article 1er de la Charte de l’environnement, ayant valeur constitutionnelle, proclame :
« Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. »
Bien plus qu’un vœu pieux, cette disposition tend à trouver une application contraignante lorsqu’il est porté atteinte au droit qu’elle énonce. En témoigne une récente décision du Conseil d’Etat (CE, Ord., 20 septembre 2022, n° 451129).
En première instance, devant le Tribunal administratif (TA) de Toulon, les requérants avaient sollicité la suspension de travaux d’aménagement d’un route départementale dans le cadre d’un référé-liberté. Ils soutenaient qu’ils portaient atteinte au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
En pratique, en application de l’article L521-2 du code de justice administrative relatif au référé-liberté, les requérants doivent démontrer 2 choses. D’une part, que la décision qu’ils contestent porte une atteinte « grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ». D’autre, qu’il y a urgence à ce que le juge des référés ordonne des mesures pour faire cesser cette atteinte (il s’agit de deux conditions cumulatives).
En d’autres termes, si le droit ou la liberté auquel la décision porte atteinte ne constitue pas une « liberté fondamentale », la requête en référé-liberté sera rejetée par le juge.
Alors, le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux présente-t-il le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L521-2 du CJA ?
Le juge des référés près le TA de Toulon a jugé que non. Il a rejeté le référé-liberté des requérants aux motifs que la protection de l’environnement ne constituait pas une liberté fondamentale au sens de l’article L521-2 du code de justice administrative.
Saisi en cassation contre l’ordonnance rendue par le TA de Toulon, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de juger l’inverse. Pour la haute juridiction, le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé présente le caractère d’une liberté fondamentale, invocable dans le cadre d’un référé-liberté.
Dans ce cas particulier, le succès d’une telle procédure de référé, exercée sur le fondement du droit proclamé par l’article 1er de la Charte de l’environnement, est encadré par plusieurs conditions :
→ D’une part, le requérant doit ainsi justifier, au regard de sa situation personnelle, qu’il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l’action ou de la carence de l’autorité publique.
Plus précisément, l’atteinte portée à la situation personnelle du requérant s’apprécie par rapport à ses conditions de vie, son cadre de vie ou les intérêts qu’il défend.
→ D’autre part, il appartient au requérant de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité qu’il a de bénéficier de mesures que le juge des référés peut ordonner (en substance, des mesures pouvant être appliquées à très bref délai par l’autorité publique).
Le cas échéant, le juge du référé-liberté pourra ordonner la suspension d’une décision, la suspension de travaux. Il pourra également enjoindre à l’autorité publique de prendre des mesures qu’il détermine et dans un délai d’exécution qu’il fixe, au besoin sous astreinte journalière.
Alors au cas d’espèce, qu’a jugé le Conseil d’Etat ?
Le CE a d’abord apprécié la condition d’urgence : il n’y a pas d’urgence à suspendre les travaux litigieux dès lors que les diverses autorisations devant en précéder la réalisation étaient anciennes et n’avaient pas été contestées en temps utiles par les requérants.
Le CE a ensuite apprécié la condition tenant à l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale venant d’être reconnue : il n’y a pas d’atteinte grave et manifestement illégale au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé dès lors que :
- La sensibilité du milieu biologique au projet est modérée ;
- Aucun enjeu de conservation notable n’est identifié ;
- Le projet a fait l’objet d’un examen au cas par cas et a été dispensé d’étude d’impact.
Dans le cas d’espèce, le CE n’a pas fait droit à la demande de suspension des requérants.
C’est souvent ainsi lorsqu’il énonce un principe nouveau.
Cette décision est cependant inédite pour le droit de l’environnement. Le juge a reconnu que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé présente le caractère d’une liberté fondamentale dans le cadre de la procédure de référé-liberté.
Saluons une belle avancée pour le droit de l’environnement !
Existe-t-il d’autres outils juridiques pour obtenir des mesures en urgence ? :
D’une part, cette décision ne doit pas faire oublier que le juge des référés peut aussi être saisi d’un référé-suspension, sur le fondement de l’article L521-1 du CJA afin qu’il ordonne la suspension d’une autorisation ou d’une décision.
D’autre part, le juge du référé-suspension peut être saisi afin qu’il ordonne la suspension d’une autorisation ou d’une décision :
- Si elle porte sur un projet soumis à étude d’impact et que cette étude n’a pas été réalisée[1] ;
- Si elle a été prise après conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête ou qu’elle a été prise sans enquête publique préalable, à condition que les requérants fassent état d’un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’autorisation ou de la décision litigieuse[2].
Ces procédures peuvent apparaître plus contraignantes dès lors qu’elles doivent nécessairement être accompagnées d’un recours en annulation, déposé au fond, contre l’autorisation ou la décision litigieuse.
[1] Art. L122-2 du code de l’environnement
[2] Art. L122-16 du code de l’environnement