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Bruits de la campagne et troubles du voisinage : comment raison garder ?

« Quand on choisit la campagne on l’accepte et on l’assume » prévenait le premier ministre Gabriel Attal en février 2024. Cette déclaration confirme la reconnaissance des spécificités de la campagne et des nuisances qui peuvent découler.

Mais comment combiner la préservation des sons et des odeurs qui font la singularité des espaces champêtres de France et la notion de troubles de voisinage ?

Pour rappel, cette notion est issue de la jurisprudence et permet d’engager la responsabilité de son auteur si ceux-ci revêtent le caractère d’anormalité. Cette anormalité est appréciée au cas par cas par le juge et peut donc différer d’un lieu à un autre.

Qu’a changé la loi « patrimoine sensoriel » ?

De nombreux troubles, caractéristiques de la campagne, ont pu faire l’objet de litiges de voisinage. C’est notamment le cas des troubles causés par l’odeur des poneys (Cass., 2ème civ., 14 janvier 1999, 97-10.678), par le bruit et les odeurs d’un poulailler (Cass., 2ème civ., 18 juin 1997, 95-20.652), les aboiements d’un chien (Cass., 2ème civ., 27 mars 2014, 13-14.907, par les grenouilles (Cass., 2ème civ., 14 décembre 2017, 16-22.509)… ou encore par les chants d’un coq (TI Rochefort-sur-Mer, 5 septembre 2019, n° 11-19-000233), dans l’affaire du coq Maurice sur l’île d’Oléron, qui avait déclenché les passions.

Ainsi, afin de favoriser le vivre ensemble dans les territoires ruraux, une proposition de loi entendait promouvoir les sons et odeurs des campagnes française.

La proposition ayant été fortement critiquée, ses mesures se sont vues fortement réduites.

Toutefois, la loi, promulguée le 29 janvier 2021, a inscrit à l’article L110-1 du code de l’environnement que les sons et odeurs qui caractérisent les espaces, ressources et milieux naturels font partie du patrimoine commun de la nation

De plus cette loi confie aux services régionaux de l’inventaire du patrimoine le soin d’identifier et de qualifier l’identité culturelle des territoire ruraux pour les valoriser. Dès lors, les élus locaux peuvent s’appuyer sur cette identité des territoires ruraux pour neutraliser des conflits de voisinage.

Mais n’allons pas trop loin : cette loi n’exonère pas l’auteur de trouble de sa responsabilité.

En effet, la cour de cassation a pu rappeler dans son arrêt en date du 7 décembre 2023 (n°22-22.137) que « les dispositions de l’article L. 110-1 du code de l’environnement, dans leur rédaction issue de la loi n° 2021-85 du 29  janvier 2021  visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises, concernent la protection des espaces, ressources et milieux naturels et n’ont ni pour objet ni pour effet d’exonérer les exploitants agricoles de la responsabilité qu’ils encourent lorsque les nuisances générées par leur exploitation excèdent, compte tenu de la situation des fonds, les inconvénients normaux du voisinage. »

Il s’agit davantage d’apprécier le caractère anormal du trouble au vu du territoire.

Par ailleurs, dans son article 3, la loi proposait au gouvernement d’examiner la possibilité d’introduire le principe de responsabilité pour trouble anormaux de voisinage. Il disposait notamment que le gouvernement “étudie les critères d’appréciation du caractère anormal de ce trouble, notamment la possibilité de tenir compte de l’environnement.

Ce fut chose faite en 2024 :

La consécration législative du trouble anormal de voisinage

Jusqu’alors, le trouble anormal de voisinage n’était qu’une notion jurisprudentielle.

S’agissant des nuisances sonores, le code de la santé publique prévoyait déjà des dispositions protectrices : l’article R1336-5 du Code de la santé publique dispose qu’“aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité.”.

La loi du 15 avril 2024 visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels a codifié la responsabilité pour trouble anormaux du voisinage à l’article 1253 du code civil.

Son premier alinéa dispose que “Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte.”.

Cette responsabilité est nuancée en son deuxième alinéa :

« Sous réserve de l’article L. 311-1-1 du code rural et de la pêche maritime, cette responsabilité n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités, quelle qu’en soit la nature, existant antérieurement à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée. Ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s’être poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal. »

La loi du 15 avril 2024 a ainsi créé un nouvel article au sein du code rural dans la partie consacrée aux activités agricoles, l’article L311-1-1, qui dispose que :

« La responsabilité prévue au premier alinéa de l’article 1253 du code civil n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités agricoles existant antérieurement à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée. (…) »

Ainsi, la loi de 2021 a permis d’ouvrir la voie vers une reconnaissance de l’antériorité, en faveur des agriculteurs et plus largement, de la ruralité.

Si en soi, la loi “patrimoine sensoriel” n’a pas (encore) eu un très grand impact, elle a néanmoins pu réaffirmer les spécificités de la campagne et de certains de ses inconvénients, en permettant ensuite trois ans plus tard la consécration du principe d’antériorité.

Article écrit par Me Chloé Schmidt-Sarels

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